(Suite)Enfin, les pompiers sont arrivés.

Ils ont essayé de me poser une attelle, mais ma jambe était coincée en position fléchie et ils n'y sont pas arrivés. Ils m'ont découpé mon jean qui comprimait ma jambe et j'ai vu qu'elle avait doublé de volume. Mais la première chose que j'ai pensé c'est que j'étais dégôutée pour mon jean qui était neuf, bizarre.
Alors, ils se sont occupés de Franck. Ils sont arrivés à poser une atèle sur son pied, ils ont soigné ses coupures (le sang que j'avais vu, à cause des éclats des vitres; c'est lui qui a tout reçu alors que c'était la vitre de ma portière mais les coupures sont superficielles...) Et puis ils l'ont mis dans le camion. Il n'y avait pas assez de place pour deux et il fallait absolument que je voyage avec une atèle alors ils m'ont laissée sur place et sont partis emmener Franck à l'hôpital et chercher une autre atèle.

Je suis restée avec la dame qui continuait à me rassurer, et à me réchauffer. Et j'ai craqué. J'ai réalisé que tout cela n'était pas un cauchemar, qu'on avait tous les deux failli y passer et j'ai vu l'état de la voiture. L'arbre était incrusté au milieu du capot, qui lui même était soulevé à hauteur du toit de la voiture. Le toit formait un "V" à l'envers, les vitres avaient sauté sauf celle du conducteur et la vitre arrière. La dame m'a prise dans ses bras et m'a dit de me laisser aller... Je suis restée comme ça jusqu'à ce que la Police arrive.
Un gars en casquette de policier ou de gendarme, (je suis incapable de m'en rappeler) a débarqué flanqué de deux collègues plus jeunes.
"Bonjour mademoiselle. Où sont les papiers du véhicule, s'il vous plaît?"
Moi, allongée par terre, en larmes et complètement abasourdie par la question: "Je sais pas...".
Le flic: "Ils doivent bien être quelque part, non?"
Là, le mari de la dame leur donne mon sac à main qu'il avait récupéré dans le coffre en même temps que la couverture.
Le flic: "C'est vous qui conduisiez?"
La dame: "Non, c'est son ami. Il vient d'être emmené à l'hôpital à l'instant".
Le flic: "Il avait bu?"
Moi, furieuse: "Mais non!"
Lui : "Expliquez-moi ce qui s'est passé alors!..."
La dame: "Mais vous pouvez pas la laisser tranquille?! Elle vient d'avoir un accident, elle a mal à la jambe, son copain est aux urgences... Vous lui demanderez parès!"
Ce c... de flic, l'air faussement indigné: "Je fais mon travail, madame". La mère de mon copain m'a dit plus tard que les flics lui avaient dit que nous devions être en train de nous embrasser en conduisant parce que c'était pas possible d'avoir un accident en pleine ligne droite. N'importe quoi...

Les pompiers reviennent avec une attelle pour moi. Heureusement ils sont beaucoup plus sympas! Ils essaient de me détendre et me transportent le plus doucement possible jusqu'au camion. Ils ferment la porte et démarrent...
Je n'ai même pas eu le temps de demander leurs noms à la dame et à son mari. Je ne les ai plus jamais revu mais je leur suis vraiment reconnaissante de ce qu'ils ont fait pour Franck et moi et de leur humanité. J'aurais aimé les revoir pour leur dire merci.

Dans le camion, un pompier essaie de me faire sourire. Ca marche. Et puis il me dit: "Vous avez vraiment eu de la chance... quand on voit l'état de la voiture...".
Et là... c'est le déclic dans ma tête. Oui!! J'ai eu de la chance! Je suis vivante! J'ai une jambe cassée! Et ça me fait presque rire! Une jambe cassée!! Qu'est ce que c'est? Rien du tout! On aurait pu mourir ou avoir quelque chose de vachement plus grave et qu'est ce qu'on a? Une jambe cassée!! Hilarant! Je suis heureuse!! C'est fou!
Bon, j'ai toujours mal (surtout quand on passe sur la voie ferrée! aïe aïe!) mais je me sens bien. Je rigole, c'est nerveux...

J'arrive à l'hosto. Là, il y a des amis de ma mère qu'elle a dépêché la bas à sa place, le temps qu'elle prévienne mon père et qu'ils arrivent. Je leur souris, ils sont rassurés! Ils me disent qu'ils ont vu Franck et que ça va. On plaisante. Ma mère et mon père arrivent. Ma mère complètement bouleversée! Elle manque de tomber dans les pommes en me voyant! Moi: "Ah non! Tu vas pas t'y mettre toi aussi!". Elle voit que je vais bien. Mon père qui ne montre pas grand chose d'habitude a les traits tirés. Il est inquiet. J'essaie de les rassurer du mieux que je peux. Je demande à ma mère d'appeler ma meilleure copine avec qui j'avais rendez-vous le soir pour lui dire que je ne pourrai pas venir vu que je suis à l'hosto. Coup de bol, elle se trouve dans les parage et elle déboule aux urgences comme une tornade!! Cette nana, c'est un réservoir de bonne humeur!! Elle me voit et s'écrie: "Eh toi!! Je suis trop contente de te voir ici! Enfin... pas ici... je veux dire, je suis trop contente de te voir! Enfin tu vois ce que je veux dire...". Ca me fait du bien!

L'anesthésiste arrive "Quelle ambiance, ici!". Il m'explique qu'il va devoir me faire une anesthésie générale d'environ 5mn pour pouvoir me déplier la jambe. Enfin, je vous passe les détails. Il fait sortir tout le monde (parce qu'il paraît que c'est un peu impressionnant) et il me dit de faire attention parce qu'il va me demander le code secret de ma carte bleue dans mon sommeil, et plop! je m'endors...
Quand je me réveille, on est en train de me foutre des baffes, tout le monde est revenu et m'appelle. Il paraît que je me suis endormie 25mn au lieu de 5! Tout le monde a eu peur! Il avait dû un peu forcer la dose! Quand je me réveille, ma mère me dit que je lui ai demandé en dormant de m'apporter des tampax pour l'hôpital!! Aucun souvenir!! Quelle honte!

Je passe plus rapidement sur ce qui s'est passé ensuite. J'ai fait des radios qui ont révélé de multiples fractures au niveau du haut du fémur, à l'os et au cartilage, donc embêtant. Le chirurgien qui interprète mes radios me dit que ce que j'ai nécessite une opération (là aussi je vous passe les détails, à moins que vous aimiez les histoires de plaques, de clous et de vis...). Je lui demande si je vais pouvoir remarcher. Là, il me regarde et ne répond pas tout de suite: "Je ne peux rien vous garantir pour le moment, il faut attendre l'opération. En tout cas, vous devrez sûrement faire de la rééducation un petit moment." Dans ma tête je me dis "J'y arriverai, je remarcherai!!". Je lui demande pour Franck : il a besoin aussi d'une opération à la cheville, mais ça devrait aller.

Donc on s'est fait opérer tous les deux 2 jours plus tard, et puis on est resté 15 jours à l'hosto. Moi j'ai commencé ma rééducation le lendemain de l'opération: une machine dans mon lit qui me faisait plier la jambe mécaniquement. C'était dur: surtout que ma jambe avait triplé de volume, les agrafes sur ma cicatrice... mais chaque jours je faisais des progrès, je gagnais quelques degrés, c'était motivant.
La kiné a essayé de me faire lever de mon lit avec des béquilles et je suis tombée tout de suite dans les pommes!! J'avais perdu pas mal de sang pendant l'opération alors j'étais toute anémiée. Mais toujours d'aussi bonne humeur!! C'était devenu mon grand défi. Me lever sans tomber dans les pommes et atteindre la salle de bain (qui était à 1m50 du lit) puis la porte de la chambre, puis le couloir... Il y a des fois où ça n'a pas marché et où les aides soignantes ont dû me récupérer dans les pommes au milieu du couloir mais je ne renonçais jamais!
J'avais perdu 7 kilos en 10 jours et j'avais une tête à faire peur: pâle avec des cernes violets, les gencives blanches, les cheveux gras malgré le shampooing sec (eh oui, impossible de prendre une douche: c'était toilette au gant et pipi dans le bassin!), mais j'ai rigolé en me voyant dans la glace.

Mon copain (on partageait la même chambre) était beaucoup moins gai que moi. Il avait été plâtré et donc ne faisait pas de rééducation. Lui il pouvait se lever (il n'était pas anémié) mais il culpabilisait. Moi je ne lui en voulais pas du tout, je savais qu'il ne l'avait pas fait exprès mais ça ne changeait rien. Et puis sa famille était en vacances au moment de l'accident donc il n'a pas pu les voir tout de suite. Ensuite, il a eu des problèmes rénaux assez embêtants. J'étais inquiète pour lui...

Pas mal de monde venait me voir, des copines, de la famille...ma meilleure copine venait tous les jours, elle nous amenait des jeux vidéos, pour nous occuper, des affaires de toilettes... Super, comme d'hab!
Et puis un jour, des amis de mes parents sont venus, me voir. Les parents d'une de mes plus vieilles et plus chères amies. Son père, que je connaissais depuis toute petite, avait un cancer assez avancé et je ne m'attendais donc pas à le voir mais il était venu. Il me demandait de mes nouvelles, s'inquiétait pour moi et c'est lui qui a poussé mon fauteuil-roulant dans le jardin de l'hôpital. Pendant qu'il me poussait je pensais que ce mec avait un cancer et moi une jambe cassée. Et je me disais que je n'aurai plus jamais le droit de me plaindre. Il est décédé, moins d'un an après et j'en garde une plaie ouverte à jamais. Les derniers jours de sa vie, dans son lit d'hôpital, il était très affaibli, les médicaments avaient changé son caractère, il était devenu irritable et ne pouvait plus parler, c'était dur à voir mais j'ai tenu à aller lui rendre visite. Juste avant que je parte, il a pris ma main et l'a serrée très fort. J'ai vu comme un "Merci" dans ses yeux. Je ne sais toujours pas pourquoi. Ce que je sais, c'est que moi je n'avais pas osé le lui dire quand il m'avait rendu visite...

Voilà, c'est une partie des choses qui m'ont redonné goût à la vie et qui m'ont fait comprendre que j'étais aimée que j'aimais la vie et qu'on pouvait faire de belles choses et rencontrer de belles personnes!
Après ça il y a eu d'autres péripéties importantes (le centre de rééducation, la vie d'après, des discussions, et le reste) mais je vous les raconterai peut être une autre fois.

Ah oui! Je marche aujourd'hui!! Bien sûr je ne peux pas faire de folies, mais pour marcher, je marche! (et Franck aussi d'après ce que je sais, parce que je ne suis plus avec). Les séquelles qui me restent : une peur bleue de rouler sur l'autoroute  et la nuit (bizarrement aussi puisqu'on roulait sur une départementale et le jour) mais à part ça, mes séquelles c'est plutôt un amour de la vie toujours plus grand.


 

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