Pffff... encore des vacances d'été chez mamie. Si je calcule, depuis ma naissance et jusqu'à aujourd'hui (j'ai presque quatorze ans), à raison de trois fois par an minimum, ça fait quarante-deux fois qu'on se tape neuf heures de route en évitant soigneusement les autoroutes, avec tout le bestiaire dans la voiture (les chiens qui halètent, les chats qui flippent dans leur cage), les taureaux à Narbonne et Béziers, les "chaaaa lala la lala chala lala la, Interville 90!!", les "c'est quoi comme département, 11?" et "on s'arrête au Mac Draïve?"

Quarante-deux fois qu'on arrive dans l'allée avec les platanes au bout, la soupe à l'arrivée à trois heures du matin, l'escalier qui fait peur avec la petite ampoule deux watts pour arriver jusqu'à ma chambre.

La porte en haut de l'escalier. Une porte toujours fermée. Grise. Avec une grosse serrure. Par laquelle s'écoulent parfois de faibles plaintes les jours de mistral. 

Toujours eu un petit frisson en passant devant cette porte et celle de la chambre de mes grands parents: une pièce toujours sombre, sortie d'une autre époque avec son papier peint rayé, la coiffeuse d'un autre âge, les portraits ovales en noir et blanc.

Heureusement ma chambre est claire, elle a été rénovée peu après ma naissance. Il y a juste un vieux miroir plein de grains de beauté qui rappelle le reste de la maison, un mas provencal d'une centaine d'année.

Depuis qu'ils ont muré le passage qui nous permettait de nous voir, avec nos petits voisins Sabba et Jamel, on s'ennuie ferme ma soeur et moi. Il n'y a plus de balançoire sur le portique, le potager a diminué de moitié depuis que la mairie a racheté le terrain pour construire la rocade, les poules du poulailler sont mortes et enterrées depuis un bail, sans parler des moutons (la preuve de nos existences simultanées réside pour moi uniquement sur quelques photos où je donne le biberon à un agneau aussi âgé que moi), on n'a même pas le droit d'aller dans la grange parce qu'il y a des rats et des vieux rateaux rouillés...

- Papa, c'est quoi cette porte grise en haut de l'escalier, en fait?

- C'est le grenier.

- On peut y aller?

- Oui, faudrait retrouver la clé.

Devant la porte, mon père fait tourner une grosse clé oxydée. Les gonds gémissent: quelques marches poussiéreuses grimpent vers une pièce immense juste sous la toiture. Il y fait chaud. De minces rayons de soleil se faufilent dans les ouvertures qui ressemblent à des meurtrières. Des coffres anciens, des tas de livres, un berceau, de vieux meubles fantômatiques recouverts de draps... C'est le Grenier. Comme un décor de film... en mieux parce que c'est vrai! Le mistral contribue à l'ambiance cinématographique avec ses ululements d'âmes damnées. 

Dans un coin sont regroupés les souvenirs d'enfance de mon père. Ses jouets en bois, ses voitures en plastique et en fer blanc. Et ses livres. Un coffre renferme de vieux magazines jaunis. Le journal de Mickey, tiens, ça existait déjà à son époque. Pilote. Connais pas. Ca sonne comme un journal pour garçon. Je fouille un peu partout, je tombe sur des souvenirs de grands parents et d'ancêtres inconnus, des chapeaux, des coupons de tissus, des combinaisons, des objets dont l'usage ne m'aparaît pas clairement...

 Je redescends quelques souvenirs pour les montrer à ma mère, j'ai une pile de Pilote, ça me fera de la lecture.

Le soir venu, je suis dans mon petit lit, avec mes Pilote et je lis. Je lis. Je lis. J'en lis toute la nuit ou presque.

Mon père a gardé toute la collection de cet hebdomadaire de 1963 à 1971. Chaque vacances je lis Pilote. Gotlib, Uderzo, Charlier, Greg, Tabary, Chakir, puis Alexis, Brétecher, Reiser, Mandryka, Lecomte, Solé, Loro, Druillet, Fred. 

"Le journal d'Astérix et d'Obélix" qui devient peu à peu, au fur et à mesure que mon père et moi grandissons, "le journal qui s'amuse à réfléchir". Un regard sur une époque que j'aurais aimé connaître. Une époque qui promeut des portes-plumes et des vélos solex dans les pages pub kitschs où Christine et Jean Pierre, pures icônes yéyé avec couettes et costume en flanelle grise, représentent la jeunesse des années soixante. Une époque, plus tard, qui encense le mobilier de salon en skaï et polyuréthane avec des coussins marron et orange en acrylique et qui s'amuse effectivement à réféchir et à tout remettre en question.

Il me reste encore quelques piles de Pilote à lire.

Merci Mr Goscinny!

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