D’après les caractéristiques du pays de Melle Ptitetsu (un sondage est en cours pour baptiser ce pays, n’hésitez pas à vous y joindre !), certains lecteurs avisés auront peut-être relevé ce qui pourrait ressembler à un illogisme dans «Melle Ptitetsu à la Poste » : elle explique au guichetier qu’elle est en vacances ! Comment peut-elle être en vacances si elle ne travaille pas ? De plus, qu’est ce qu’elle fait ici, à Paris, en France, dans un bureau de Poste bondé si elle vient d’un pays si génial que ça ?

C’est parce que le mot « vacances » a une signification particulière là bas : partir en vacances, c’est partir dans un autre pays qui ne comporte pas les mêmes caractéristiques que celui dans lequel on vit (Vous me direz que ça n’est pas si éloigné de la définition des vacances qu’ont certains d’entre nous…).

 

Curieuse de nature et aimant rencontrer de nouvelles têtes, Melle Ptitetsu s’était renseignée pour visiter un pays qui vaudrait le coup.

Dans ses recherches, elle avait entendu parler du « pays des libertés », d’une « Terre d’accueil », du « pays des Droits de l’Homme », de sa devise « Liberté, Egalité, Fraternité »,…. tant de jolies expressions qui désignaient le même pays :… la France !

Elle était curieuse et impatiente de voir comment vivaient les français dans un pays si idyllique !

Elle s’imaginait déjà leurs deux nations main dans la main, partageant et échangeant de nouvelles idées sur le bonheur, s’enrichissant l’une l’autre des solutions imaginées par chacune pour rendre son peuple toujours plus libre, plus heureux…

C’est donc pleine d’optimisme qu’elle atterrit à Paris, « Ville Lumière », « Ville de l’Amour et du Romantisme» par excellence  ! Quel charmant programme !

La première matinée, tout l’enchanta : les monuments, si romanesques, les bords de Seine, le Canal St Martin, les petites épiceries, les vraies boucheries, les vrais primeurs, les artistes et les accordéonistes sur les ponts comme au bon vieux temps…et puis, culturellement, quel régal ! Les musées, les expos, les spectacles, les concerts, les vernissages… même le Métro ! (Si, si ! Quand on ne connaît pas encore bien, on se dit que c’est super pratique !)

 

Et puis très vite, Melle Ptitetsu se rendit compte que ça n’était pas exactement comme elle l’avait imaginé…

D’abord, elle s’était rendue compte du silence qui régnait dans le wagon du métro, justement, et ça l’avait un peu étonnée : chez elle, tout le monde se parle, échange, demande à son voisin à quoi il s’intéresse en ce moment…

Sur le coup, elle s’était juste dit que les gens devaient aimer profiter du silence, ce qui est tout à fait justifiable et compréhensible. Mais ensuite, elle a remarqué l’expression sur le visage des gens : un air vide, absent, le regard fuyant celui des autres passagers, pas un sourire…

Evidemment, dans le pays de Melle Ptitetsu non plus, tout le monde n’est pas en train de se fendre la pêche en permanence ; il y a des personnes qui sont tristes de temps en temps (quand elles perdent un être cher ou quand elles sont malades par exemple)… mais à ce point là…

Melle Ptitetsu se dit qu’elle devait être tombée dans la voiture où tout le monde était en deuil ou atteint d’une maladie incurable. Statistiquement, c’était étonnant mais pas impossible, après tout. Ou alors, deuxième hypothèse, cette voiture devait avoir un signe distinctif que Melle Ptitetsu n’avait pas vu  et qui indiquait qu’elle était réservée aux personnes tristes. Melle Ptitetsu les plaignit de tout son cœur et continua son périple.

 

Aux alentours de midi, elle commença à avoir faim et fit halte dans un joli restaurant au cœur d’une rue pittoresque. Il se trouve que ce restaurant faisait également office de cantine pour les cadres d’une grande entreprise du quartier.

Melle Ptitetsu se retrouva à la table voisine de ces personnages qui avaient fait une entrée bruyante et joyeuse dans l’établissement, en vieux habitués des lieux. Ils saluèrent familièrement le garçon, qui leur débita deux ou trois blagues, chacune accueillie par des rires sonores.

Enfin des gens qui semblaient heureux !! Melle Ptitetsu était rassurée et sa désagréable impression du matin s’envola aussitôt. Elle fit à la tablée son plus charmant sourire et engagea la conversation :

_ Je vous souhaite un bon appétit messieurs dames !

Un peu étonnés, deux ou trois messieurs lui répondirent « de même… » ou « oui, merci... » accompagné d’un bref sourire et se plongèrent dans la discussion qu’ils tenaient avec leurs semblables :

-         Oui, Jean-Claude, vous avez raison, les stratégies marketing de Dugommeau ne sont pas assez offensives !…, braillait l’un d’eux en piquant sa fourchette dans son steak.

-         Soit dit en passant, et que cela reste entre nous, j’avais prévenu le boss que Dugommeau était un mauvais élément à recruter… Il ne m’a pas écouté et  voilà le résultat : l’entreprise pourrait faire dix fois plus de bénéfices sur ce produit sans cet incapable ! ajouta l’autre en se servant généreusement en vin rouge.

-         Tout à fait d’accord!! Figurez-vous qu’hier, Dugommeau a quitté le bureau à 20h30 seulement ! Et au nez et à la barbe du boss et de toute l’équipe qui a planché sur le dossier Biloute jusqu’à 23h00. 20h30 ! Il se croit en RTT ou  quoi ?

Melle Ptitetsu écoutait, éberluée la conversation du groupe et ne put s’empêcher d’intervenir :

-         Mais… c’est scandaleux !

-         Je ne vous le fait pas dire, mademoiselle ! lui répondit l’homme au verre de vin rouge toujours plein, en se tournant vers elle (il n’avait pas saisi le quiproquo…). C’est même honteux ! Car enfin, il est comme nous tous : au service de l’entreprise ! S’il préfère glander et se faire plaisir, qu’il en paie les conséquences et qu’il aille crever sous un pont ! Pas de place pour les feignants ici ! s’écria-t-il en tapant du poing sur la table.

Après avoir vidé et rempli à nouveau son verre, il ajouta :

-         Je suis content de voir qu’il y a des jeunes, comme vous mademoiselle, qui partagent les vraies valeurs qui font avancer un pays : le travail, le profit… Il n’y a qu’à ce prix que nous nous ferons une place dans le monde… Au fait dans quel domaine travaillez-vous, mademoiselle ?

-         Je ne travaille pas, répondit-elle en redoutant l’effet de cette phrase sur son interlocuteur.

-         Ah ! Vous faites vos études alors ! Dans quel secteur ? Attendez, laissez moi deviner…le commerce !! Cela vous irait très bien ! Une voie difficile mais noble ! Peut-être serons-nous un jour des collaborateurs !

-         Non, non… euh, comment dire. Je ne fais pas d’études de commerce et …je n’ai pas vraiment l’intention de travailler un jour…

-         Ne pas travailler !! fit-il avec un brusque sursaut. Etes-vous une riche héritière ? Une beatnik ? Une RMIste sans vergogne ? Une femme au foyer ? siffla-t-il en se reculant le plus possible sur sa chaise pour ne pas risquer d’effleurer Melle Ptitetsu .

-         Non, j’ai juste décidé de ne faire que les choses qui m’intéressaient vraiment, à moi, personnellement … C’est ma philosophie de vie, si vous voulez…

-         Croyez-vous donc que la société va vous entretenir à ne rien faire, à vous tourner les pouces ? Vous vous croyez  dispensée de payer votre tribu à la société ?!!

-         Je n’ai pas dit que je ne faisais rien, j’ai dit que je ne travaillais pas, c’est différent ! Au contraire, je suis très occupée. Et puis je ne dois rien à la société, je n’ai rien fait de mal ! Je considère plutôt que c’est le rôle de la société de faire en sorte que tous ses enfants soient le plus heureux possible… après tout ils n’ont rien demandé, et la vie est trop courte pour la gâcher à faire des choses par devoir ! Vous ne croyez pas ?

-         … !!!!….

Là, un ange passa dans le restaurant, certains regardaient leurs pieds, gênés, d’autres auscultaient Melle Ptitetsu comme s’il s’était s’agit d’un spécimen d’acarien repoussant, l’air atterré et dégoûté. Plus personne ne lui adressa la parole et la discussion se poursuivit avec de temps en temps de brefs coups d’œils sur l’être abject qui finissait son repas à la table d’à côté.

 

Melle Ptitetsu comprit alors ce qu’était cette expression sur le visage des gens du métro car, sans s’en apercevoir, ses yeux avaient pris la même…

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